Exposition du 24 janvier au 28 février 2009
Artistes exposés : Albérik, Yvon Alouidor, Antilhomme, Jafa, Louisiane
Saint-Fleurant, Louisiane Lubin (L.L.),
Levoy Exil, Saint-Jean, Alfred Smith, Pierre, Payas, Zag (collection privée, Mr. Yves Goscinny).
Le Mouvement de Saint-Soleil
« Le peintre naïf est appliqué, celui de Saint-Soleil est visité » - André Malraux.
Le Mouvement de Saint-Soleil est une école d’art populaire fondée en Haïti
le 3 décembre 1972 par deux artistes haïtiens, Maud Gerdes Robart et
Jean-Claude Garoute (Tiga), originalement en réaction à la dérive mercantile
que semblait prendre l’art haïtien alors en pleine expansion.
En s’installant dans une petite communauté rurale (Soissons-la-Montagne,
commune de Kenscof) suffisamment éloignée de la capitale, ces deux
artistes-animateurs voulurent d’abord se distancer de l’agitation de
la "République
de Port-au-Prince" et se ressourcer aux racines profondes de la culture
haïtienne ("J’ai appris mon art à l’école du peuple", Tiga).
A Soissons, pendant la construction de la maison qui allait devenir leur
atelier et le lieu de rassemblement et de création des Saint-Soleil, Maud et
Tiga mirent en place leur méthode d’éveil par l’art, qui consiste à créer
une "ambiance inspirante" à partir de laquelle l’enfant ou l’adulte peut
manipuler librement divers supports sensoriels (argile, pierre, tambour,
couleurs, encre, fibre, tissus, etc...) mis à sa disposition.
En pratique, dans cette première expérience, toute la communauté était
invitée à la fin des travaux du jour à venir passer la soirée ensemble à
chanter, danser, tirer des contes – point de départ du théâtre Saint-Soleil ;
par le biais de cet accès banalisé à l’expression spontanée, la pratique des
arts apportait immédiatement "à tout un chacun" un moment de bonheur, le
sentiment d’accomplissement d’une partie de soi-même autre que celle
consacrée au labeur quotidien, un meilleur équilibre dans l’affirmation de
sa propre personnalité et donc un sens de "mieux"-être.
Ce premier contact avec l’expression artistique, quand il était poursuivi
par certains sur le (ou les) support(s) qu’ils avaient préféré(s), leur
permettait alors d’en tirer progressivement une connaissance plus
approfondie et d’en faire l’apprentissage technique de toutes qu’il(s)
pouvai(en)t leur offrir (phase didactique).
Enfin, au-dela de cette étape d’initiation, quelques-uns seulement sentaient
croître en eux une flamme créatrice qui devait les conduire à un niveau
d’art exceptionnel (phase esthétique).
C’est sans aucun doute ce qui devait bouleverser un grand personnage
comme André
Malraux, écrivain, ministre de la Culture de la France, globe-trotteur et
grand connaisseur d’art, lors de sa rencontre avec le groupe à
Soissons-la-Montagne
(1976) ; lui qui se trouvait à ce moment à la fin de sa vie et qui pensait
avoir répertorié l’essentiel de l’art de l’Humanité dans une trilogie
monumentale, écrit aussitôt un chapitre consacré à Saint-Soleil qu’il fait
inclure dans le troisième volume (et dernier livre) , "L’Intemporel" , qui
se trouvait déjà chez l’imprimeur (ce texte, écrit en Haïti, allait ainsi
remplacer son chapitre sur Goya)
Parmi tous ces "fils du Soleil", libérés au contact de l’acte de création,
quelques-uns vont sentir grandir en eux une énergie créatrice telle qu’elle
va les maintenir en disponibilité pour l’expression artistique - "l’oeuvre
(d’art) ne s’élabore pas, elle surgit" , dit Tiga ; ceux-là sont devenus les
premiers *maîtres Saint-Soleil* que nous connaissons des années
septantes (Antilhomme, Levoy Exil, Prospère Pierre-Louis, Louisiane
Saint-Fleurant,
Saint-Jacques, Saint-Jean et Denis Smith).
Mais depuis, le mouvement s’est étendu et d’autres individualités ont
naturellement émergé de la collectivité dans les années
quatre-vingts (Albérik, Alouidor, Jafa, Louisiane Lubin, Matthieu
Saint-Juste et Yaya), et
plus récemment encore dans les années nonantes (Apier, Dastiné, Guéthin, Jan
Vernal, Mira, Océli, Onel, Payas, Redjy, Rit, Saint-Surin, Ti Boss, Tag et
Yaya).
Texte rédigé d’après les notes de Tiga.
Il est intéressant de constater que la démarche de ces artistes a beaucoup
de similitudes avec, par exemple, le groupe Cobra, dont l’exposition et
rétrospective médiatisée est en cours aux Beaux-Arts de Bruxelles.
En effet, si on compare certaines peintures de Karel Appel à côté de celles
de Jafa (épouse d’Antilhomme) on constate que ce sont les mêmes couleurs
primaires qui sont utilisées mais également la même recherche d’expression
spontanée. Les créations du groupe Cobra faites par des artistes qui se sont
volontairement éloignés de tout leur apprentissage académique pour créer un
"Art Libre" (lire Cobra : Un art libre, J.C. Lambert, éditions Galilée) en
"oubliant" tout ce qu’ils avaient appris à l’école, nous prouvent qu’un
artiste haïtien nu devant sa toile, avec sa démarche spontanée et sans
effort, à la base même de l’expression artistique telle que nous la
connaissons, n’est pas très différent du travail de certains maîtres ou
artistes révolutionnaires avec leur démarches expérimentales, que l’on peut
admirer dans les grands musées de notre continent.
Citations :
« L’Art populaire est le seul qui soit vraiment international. Sa valeur ne
consiste pas dans la perfection de sa forme mais dans le fond humain de ses
produits ». Asger Jorn. Cobra I, 1949.
« Notre expérimentation cherche à laisser s’exprimer la pensée spontanément,
hors de tout contrôle exercé par la raison. Par le moyen de cette
spontanéité irrationnelle, nous atteignons la source vitale de l’être »
Asger Jorn. Discours aux Pingouins », Cobra 1949.
« Le tableau est un terrain d’expérience, ce n’est pas un écran derrière
lequel on peut se cacher. »
« L’important est de découvrir en nous, qui faisons partie de la réalité, un
écriture intérieure allant à la découverte organique de nous-mêmes ,... » Pierre Alechinski, Abstraction faite, Cobra 10, 1951.
Grégoire de Perlinghi
Avec la collaboration de Mr. Yves Goscinny, pour la Galerie Lumières
d’Afrique.