Une semaine a passé. Je me rends au cabinet de mon psychanalyste, qui a pris connaissance par courrier de toutes les doléances qui précèdent.
« Ah, le Belge, fait-il en me donnant une poignée de main vigoureuse. Écoutez, mon vieux, j’ai lu avec attention votre procès-verbal. Le diagnostic me semble limpide. Vous vivez au fond dans l’imaginaire. Vous souffrez de manques de repères. De déficit d’identité. De carence en ADN nationale. Vous geignez un peu sur l’air du “c’est trop injuste”, du “je suis le mal-aimé”, du “je suis un éternel apatride”, etc. Votre maladie est à la hauteur de votre identité : elle me paraît imaginaire. Je vous soupçonne même de jouir secrètement de vos prétendus malheurs. Vous avez un côté gratteur de plaie qui tient par moment de la complaisance. C’est votre côté fadiste du nord. Vous savez, le fado ? Cette musique mélancolique, dont on dit qu’elle révèle un paradoxe très portugais : jouir du malheur. Ou souffrir du bonheur. Eh bien vous, c’est un peu la même chose. La Méditerranée en moins, la mer du Nord en plus. Le plat pays, Brel, et toute cette poésie du petit, ce lyrisme du dénigrement… Tout ça c’est vous ! Et n’en déplaise à votre santé retrouvée, vous n’avez pas changé : quand un Français vous courtise, vous voilà méfiant, comme si vous étiez allergique à ses marques d’affection (car il vous aime, oui). Quand il trébuche, vous voilà ravi, suffisant, presque cocardier.
» Alors désolé de vous l’apprendre, cher hypocondriaque, mais vous n’êtes pas plus malade ou complexé, puisque c’est un peu cela votre refrain lancinant, qu’un autre. Et pas plus, donc, que votre voisin le Français. Chacun son dada. Le Français a besoin d’être titillé sur ses certitudes. C’est sans doute un anxieux qui se cache. Un fort en gueule qui espère dompter ses doutes en aboyant plus fort que ses voisins. Et vous, le Belge, c’est un peu l’inverse : vous avez besoin d’être conforté dans l’idée qu’au fond vous n’êtes pas si malade que ça.
Voilà qui devrait vous rassurer. Mais vous savez quoi ? Vous êtes si tordu, si “complexe” (notez que je n’ai pas dit “complexé”), qu’au fond je ne suis pas loin de penser que mon diagnostic produira exactement l’effet inverse. Vous prétendez que votre mariage est consommé. Que le divorce est imminent. Que votre couple est en sursis. Que la famille est éclatée depuis longtemps. À vous de jouer, après tout vous êtes grand. Vous faites aujourd’hui le bilan d’un échec ? Moi, je dis qu’il y en a beaucoup qui changeraient leur prétendue réussite pour un échec de cette qualité-là. Mais là, je sors de mon rôle. Voilà, je crois qu’on s’est tout dit, non ? Une petite blague belge pour la route, peut-être ? »