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Le Complexe Belge de Nicolas Crousse - Extrait 21 (le dernier)

Ceci n’est pas (tout à fait) une fiction

Chronique d’une décomposition annoncée.

Forçons le trait. À peine. Et allons, quitte à hérisser le poil conservateur du Belge, jusqu’au bout du fantasme. Nous sommes lundi 11 juin 2007, au lendemain des élections législatives. La Belgique se réveille groggy. Avec une vilaine gueule de bois. La nuit a été arrosée. Houleuse. Violente. La dernière crise du couple flamingo-francophone a été plus forte que d’habitude. La procédure de divorce est désormais sur la table. Les élections de la veille ont creusé un fossé toujours plus grand, et semble-t-il cette fois irréconciliable, entre les deux grandes communautés du pays. Si cela fait longtemps qu’il n’y a plus de vie conjugale, si le peuple belge n’a jamais existé que dans les livres d’histoire et les manuels de propagande, voilà maintenant que la notion même d’État se fissure et se ratatine. Il restait encore une façade. Désormais, il semble qu’il n’y ait plus rien. Qu’un agenda de décomposition, devant la fatalité d’un cancer généralisé.

La crise de régime est imminente. Au cabinet du Premier ministre en sursis, on annonce l’organisation de grandes négociations institutionnelles. Traduction non autorisée : des funérailles nationales, mais « à la belge » : sans faire couler de sang. Sans couper de têtes.
Sans même aller au conflit. Non : en prenant le temps. En convoquant notaires, croque-morts, prêtres et proches autour de la Vieille. Moribonde, la Belgique soupire encore dans un râle. Et là voilà bientôt dans un coma irréversible. Une mort cérébrale. Le cœur bat encore. Les affaires courantes s’expédient toujours au compte-gouttes. Le 21 juillet, jour de la fête nationale, le roi penche toujours la tête en souriant, comme dans les contes de petite fille. Mais le cerveau est mort. Le pays est en sursis. Le temps à l’arrêt. C’est le calme avant la tempête.

Puis, au sortir de cette furtive amnésie (qui peut durer quinze mois comme quinze ans, le Belge étant amateur de négociations marathons), un beau matin quelqu’un retire la prise. Les partenaires les plus constructifs tentent la réanimation. Mais les électrochocs ne font plus leur effet. L’encéphalogramme est plat. Et le roi, nu, file comme dans le canular de la RTBF se réfugier au Congo.

Et puis ? Puis, le divorce est consommé. On partage les meubles : sécurité sociale, chemins de fer, télécommunications, justice, livres de bibliothèques, tableaux de musées (tu prends Ensor, je garde Magritte)… La Flandre court fièrement planter le drapeau jaune et noir sur son lopin de terre. La Wallonie, plaquée, entre dans le quart-monde et part se saouler la gueule au café du commerce.

Reste Bruxelles, enfant du divorce et véritable casse-tête. Car que faire du maudit rejeton ? Le refiler à la Flandre ? Impossible : 85 % des Bruxellois sont francophones. L’insérer à la Wallonie ? Peu probable, pour cette ville historiquement flamande. Lui conférer, alors, un statut de capitale européenne, à la Washington DC ? La fronde populaire sera au rendez-vous.

Vous voulez la vérité ? C’est la peur, c’est encore elle, c’est la panique face à la perspective de ces lendemains qui pourraient déchanter, qui restera l’ultime ciment de cet attachant mais frileux pays. Et après ? Après cela, cette terre, qu’on appela durant près de deux siècles
Belgique, ouvrira tout simplement un nouveau chapitre de son histoire. Elle en a vécu bien d’autres avant 1830. Il n’y a aucune raison qu’elle s’arrête en si bon chemin. Ce sera aussi simple que cela. Allons ! Vite, un prêtre, l’extrême-onction. Un bon bain de larmes (option facultative). Et en route pour la grande vadrouille. Amen.