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Anatomie d’une nation imaginaire
La Belgique est née sur un air d’opérette. Elle fut tentée d’en finir sur un air de canular. En 1830, c’est une représentation au Théâtre de la Monnaie de La Muette de Portici, d’Auber [1], qui déclenche subitement l’ire révolutionnaire du peuple bruxellois. Qui descend dans la rue et se soulève contre l’occupant hollandais.
Le 13 décembre 2006, à 20h20, c’est encore une fiction, mais celle-là d’un tout autre genre, qui mettra la population en émoi, poussera certains à sortir dans la rue, provoquera chez les plus anciens des malaises, nuits blanches et crises de larmes, et soulèvera un incroyable tollé dans le monde politique.
Ainsi y va-t-il de ce peuple émotif et imprévisible ! Qui fonde son identité collective sur un malentendu : non pas pour créer une mythologie nationale, du type gaulois ou germanique. Non : pour plus simplement repousser l’occupant, qui lui fait peur. Et un peu moins de deux siècles plus tard, c’est toujours la peur qui tient les Belges. La peur d’en finir, cette fois. La peur de paraître trop seuls, et infiniment lilliputiens en cas de divorce. Aux yeux des observateurs de plus en plus nombreux, le vieux mariage de raison avec la Flandre (nous sommes voisins, nous sommes petits : à deux, nous le serons moins) semble consommé. Entre le lion flamand et le coq wallon ne subsistent que les anciennes habitudes d’une cohabitation qui n’a plus rien de conjugale. Mais, comme dans ces vieux couples chers à Simenon, à commencer par celui du Chat, qui inspira le film de Pierre Granier-Deferre, on ne se quitte pas aussi facilement pour autant.
De tous temps, l’identité belge a toujours posé problème. C’est que, dans ce village fragile, les deux tribus se regardent en chiens de fusil. Et parviennent difficilement à dépasser leurs antagonismes, pour hisser un drapeau commun. Entre le latin Wallon et le germanique Flamand, les divergences dépassent de loin les ressemblances. Forçons le trait et comparons les portraits.
D’un côté, le Wallon. Qui, vu de Flandre, est un gros fainéant, un profiteur, un ouvrier d’un autre temps, un socialiste de la génération Germinal, un tire-au-flanc tendance Gaston Lagaffe. Voire un être intellectuellement diminué [2].
En face, le Flamand. Qui, vu de Wallonie, serait un Überfuhrer déguisé, un Japonais workaholic, un petit bourgeois rêvant d’une villa et d’une résidence secondaire en Espagne, un nouveau riche au confort Ikea, doublé d’un (front) nationaliste, bouffeur de bicots.
La guerre entre ces deux villages n’est pas le monopole de la Belgique. Entre Parisiens et Marseillais, comme entre Milanais et Siciliens, Madrilènes et Barcelonais ou jadis entre Tchèques et Slovaques, c’est aussi le même refrain.
À un détail près : non seulement le Belge du sud diffère en tout de son voisin du nord, mais surtout, il ne partage pas sa langue. Ne la comprend pas (ce qui est moins le cas du Flamand, plus à l’aise avec la pratique des langues étrangères). Et vit en somme dans un paysage culturel qui correspond à une autre galaxie. Excepté quelques ministres fédéraux et la famille royale, qui jouent les VIP pour le service après-vente du pays, le dénominateur commun est plus que maigre. Il est inconsistant.