C’est une photo qui a été prise le 3 septembre 1944 lors de l’incendie qui avait été déclenché par les troupes allemandes sur ordre express de l’oncle Adolf dont le palais de justice bruxellois était un des monuments préférés.
Implantées dans l’axe de la maison communale qui se prolonge jusqu’au rond-point de la barrière, les prisons de Saint-Gilles s’inscrivent dans un scénario urbain monumental. Leur désaffection n’est pas seulement un évènement objectif où il s’agit de déplacer une fonction urbaine d’un endroit à l’autre, c’est aussi un acte symbolique d’un certain poids. Faisons le lien avec le palais de justice qui imprègne, lui aussi, avec plus de force encore, le scénario urbain bruxellois qui est aussi une mise en scène symbolique de l’État belge. Lorsque nous observons ces deux situations analogues, complémentaires et spectaculaires, nous pourrions être amenés à penser que vider de tels symboles de leur contenu est aussi une manière d’amoindrir l’idée que nous nous faisons de notre contrat social et ce n’est pas anodin.
Certains d’entre nous ont déjà eu quelques doutes quand ils se sont aperçus, peut-être lors d’une journée sans voitures, que le sens unique de la rue de la Loi faisait disparaitre de nos systèmes de représentation collective la formidable perspective sur les arcades du cinquantenaire à partir du centre. L’avoir occulté pour des raisons de mobilité automobile aura été aussi une manière de manifester, dès la fin des années 1950, une Belgique en train de s’évanouir puisqu’elle ne serait plus capable de se mettre en scène au travers de ses monuments nationaux commémoratifs.
Prisons de Saint-Gilles à faire disparaître pour accueillir une population de riche contribuable, Palais de justice transformé en galerie commerciale, arcades commémoratives que l’on ne peut plus regarder, l’affaiblissement des rapports symboliques entre les éléments structurants d’un territoire urbain à la dérive sont nombreux. Avec leur désaffection ce n’est pas seulement des équipements publics que l’on escamote, Bruxelles n’est pas que fonctions urbaines, proximité des usagers, modes de déplacements, efficacité énergétique, densification des nouveaux centres et chantier permanent, il y va tout de même d’autre chose. En nous arrachant morceau par morceau ce qui donne une signification au paysage de nos villes, on nous désoriente. Et si nous nous laissons désorienter, alors il sera plus facile de nous diriger puis de nous enfermer dans les cachots obscurs de nos désirs inassouvis.
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"Bruxelles en mouvements" est le journal d’IEB, Inter Environnement Bruxelles, il parait tous les 2 mois. En informant sur les enjeux urbains bruxellois, cette publication donne la possibilité aux habitants de se réapproprier les questions urbanistiques et notamment environnementales de leurs territoires...
Retrouvez ici, le dossier du Bem "Enfermer la prison… à la campagne ?"