A la demande de permis pour le nouvel immeuble de bureau « Trebel » déposé par le promoteur immobilier ATENOR, la coordination Europe demandait à la Commission de concertation de remettre un avis défavorable ce 4 décembre 2012. Suite à la réunion, l’avis a été reporté. Voici un résumé de l’avis de la coordination Europe qui regroupe l’AQL et le GAQ soutenus par IEB et le BRAL [1]
ENCORE UN PROJET QUI DÉTRUIT LE PATRIMOINE
Le projet consiste à démolir le siège de la banque BACOB à l’angle des rues Belliard et de Trèves. L’immeuble construit au milieu des années 80 et vidé en 2005, n’aura été occupé que 20 ans. Réalisé par l’architecte Jan Tanghe il est certainement l’un des plus remarquables exemple architectural de la période postmoderne, prêtant une grande attention à l’histoire, la morphologie et la typologie du Quartier Léopold.
L’étude d’incidence ne peut d’ailleurs que constater cette situation : « Le bâtiment est considéré comme un témoin de qualité de l’architecture post-moderniste à Bruxelles, ayant développé de plus une approche innovante à l’époque du point de vue de sa conception énergétique ». On sent bien ici la gêne de l’auteur face à la disparition de ce patrimoine. Cependant, la notion de patrimoine ne peut plus se limiter à la qualité architecturale d’un immeuble, une démolition c’est surtout perdre irrémédiablement l’investissement énergétique qui a été nécessaire pour la réaliser.
Il est prévu de le remplacer par la construction d’un immeuble de bureaux de 32.325 m2 avec 162 places de parking pour le compte du Parlement européen. Contrairement au bâtiment précédent, son architecture résolument démonstrative est en rupture avec le caractère rectiligne du quartier. De moins en moins Léopoldien et de plus en plus européen, ce projet poursuit le phénomène de distanciation qui caractérise l’ensemble des projets institutionnels et par conséquence déstructure la représentation que nous nous faisons collectivement d’un quartier historique et, chantier après chantier, nous en dépossède.
ENCORE UN PROJET QUI DÉROGE À LA RÉGLEMENTATION BRUXELLOISE
Ce projet largement dérogatoire au RRU, prévoit un doublement de la densité bâtie pour atteindre un rapport plancher/sol supérieur à 8 alors que la moyenne du quartier tourne autour de 4.
Ce projet en contradiction avec le schéma directeur du quartier européen, prévoit de préserver et de réimplanter du logement dans la zone. La rue Belliard mieux connectée aux dernières rues de maisons traditionnelles, se prête mieux que la rue de la Loi, à la diversification que le schéma directeur prône avec tant d’agitation.
Le rapport d’incidence fait constamment référence au Règlement Régional d’Urbanisme Zoné, qui ne concerne pas la zone du projet. Après la tour Van Maerlant et l’Institut Eastman, voilà donc une nouvelle conséquence supplémentaire du PUL en dehors du PUL. Et pour mieux se défendre d’associations qui se défendent, la Région s’est faite la promotrice acharnée d’un Plan Particulier d’Aménagement du Sol (PPAS) qui permettra de régulariser fort opportunément les dérogations exigées par le projet TREBEL. Et voilà comment on tente de réaliser tout de suite sur la rue Belliard ce qui n’est prévu qu’un jour pour la rue de la Loi.
La coordination Europe n’a d’autre choix que de refuser catégoriquement de telles méthodes et un tel opportunisme. Il favorise les projets démesurés des plus puissants au détriment de tous les autres, il nous dépossède de ce pour quoi nous avons lutté pendant 40 ans, il donne à penser une connivence insupportable entre intérêts privés et pouvoirs publics, ils rendent incompréhensibles non seulement les politiques urbanistiques au niveau local mais aussi le projet européen si tant est qu’il s’agisse encore de rapprocher les citoyens de leurs institutions.
ENCORE UN PROJET DÉMESURÉ, TAILLÉ SUR MESURE POUR LE PARLEMENT EUROPÉEN
L’étude d’incidence souligne que « Le quartier européen constitue le plus grand stock de bureaux de la RBC. Il affiche l’un des plus importants taux régionaux de vacance de bureaux ». Il serait donc possible de répondre aux besoins des institutions européennes par la rénovation. Pourquoi ce recours exclusif à la densification ?
Sous la pression des enjeux internationaux voire d’un chantage exercé subrepticement, les pouvoirs publics bruxellois offrent sans résistance ce qu’il serait impossible d’accorder au commun des citoyens européens, ils autorisent une situation de concurrence déloyale, permettent à une entreprise privée de générer des profits démesurés et grèvent à terme des budgets publics en crise.
Tout cela ne peut que dégrader un peu plus l’environnement du Quartier Léopold. Compte tenu du contexte économique qui est le nôtre aujourd’hui, cela ne peut que détériorer aussi l’idée que nous nous faisons encore de la capacité publique de gérer avec mesure les territoires auxquels nous appartenons.
ENCORE UN PROJET QUI DÉTÉRIORE L’ENVIRONNEMENT
L’étude d’incidence évalue l’équilibre du projet d’un point de vue « bilan carbone » au bout de 20 ans d’occupation. Cette évaluation est erronée, en se basant sur les mêmes hypothèses, il faudrait 150 ans pour compenser la démolition et la construction du nouveau bâtiment.
ENCORE UN CHANTIER, TOUJOURS DES CHANTIERS
L’impact de chantiers de grande dimension est loin d’être négligeable sur la dégradation de l’environnement urbain du Quartier Léopold. Si le Projet Urbain Loi devait se réaliser, nous voilà repartis pour plusieurs dizaines d’années de nuisances supplémentaires alors que nous les avons déjà subies depuis 40 années.
Il suffit de se promener au droit des chantiers van Maerlant ou Conseil européen pour se rendre compte de l’énorme impact négatif de ceux-ci sur l’espace public surtout s’il s’agit en plus d’un accès routier important vers ou depuis le centre ville.
A l’instar de ce qui avait été mis en place pour le chantier du Parlement européen entre l’AQL-SEL en 1988 (voir annexe), nous demandons que tout nouveau grand chantier dans le quartier Léopold soit l’objet d’un accord-cadre qui permette de mieux gérer leur conséquences sur l’environnement urbain ainsi que sur la qualité de vie des riverains et usagers.
ENCORE UN PROJET QUI VA NOUS COÛTER CHER
L’ampleur économique et lucrative de ce projet soulève à nouveau la question de la rénovation, mais elle interroge également sur la maigre plus-value captée par la ville, l’absence de logements et le nombre visiblement incompressible de places de parking dans un quartier déjà saturé par le trafic automobile.
CONCLUSION : QUARTIER LÉOPOLD OU QUARTIER EUROPÉEN, PATRIMOINE OU OBSOLESCENCE
Quand le Quartier s’appelle Léopold, alors la notion de patrimoine permet encore de caractériser un morceau de ville profondément inscrit dans les représentations collectives bruxelloises. Quand le même quartier n’est plus qu’européen, il semble se réduire à un ailleurs insaisissable, sans cesse obsolète, programmé pour qu’il ne puisse jamais être approprié.
Voilà donc le Far-West qu’on nous propose, qu’il s’agisse du développement d’un quartier “où les évolutions urbanistiques s’attachent à traduire au mieux les évolutions de notre société“ ou qu’il s’agisse des institutions que nous nous sommes données afin d’échapper à ce qui nous avait poussé à tant nous haïr. Le débat sur les mots n’est donc pas si vain, il recouvre des réalités paradoxales qui n’ont pas grand-chose à voir avec la nostalgie d’un passé révolu, mais bien avec un avenir qui incombe et qui n’est ni compris et encore moins partagé par un citoyen désorienté qu’il soit bruxellois ou européen.
Alors que la notion d’obsolescence semble être la nouvelle révélation qui permettrait de relancer la machine à spéculer sur le territoire bruxellois, nou pourrions nous pencher sur la question du patrimoine en tant qu’investissement énergétique, celui que nous avons consenti en période d’opulence et que nous nous devons de traiter avec beaucoup plus d’attention lorsque nous sommes en crise.
Dans un quartier où l’on démolit un bâtiment remarquable qui n’a même pas été occupé 20 ans, on peut se demander si la question du bilan carbone ne serait pas devenue une bonne manière d’appréhender une réalité qui ne semble pas avoir été bien comprise par un secteur de l’immobilier aux appétits féroces et particulièrement dépensier.
Il ne s’agit pas seulement d’énergie ou de gros sous, mais aussi de ce qui nous attache encore à nos territoires. Nous nous opposons donc à ce projet don’t les dérogations ne sont ni nécessaires, ni acceptables. Un projet qui exclut la rénovation d’un ou plusieurs bâtiments vides du quartier. Un projet qui implique une densification inutile et inefficace d’un point de vue environnemental.
Télécharger en pdf l’avis de la Coordination Europe dans son intégralité