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Quand la médecine se penche sur le cas de ce curieux patient…
Avec le canular de la télévision belge sur la mort du pays, la crise identitaire refait surface. En Belgique, c’est un peu comme les chansons de Brel. C’est une vieille rengaine circulaire, le disque est rayé, et la complainte bégaie les mêmes névroses.
Je me rends chez un psychanalyste. Un Tchèque installé depuis une trentaine d’années en Belgique. Et qui a selon moi cette capacité à la fois de distance par rapport au sujet belge, qu’il scrute en observateur privilégié depuis tant de temps, et ce point de comparaison possible avec le syndrome d’un autre « petit » pays, lui aussi jadis composé de deux grandes familles : l’ex-Tchécoslovaquie. Jan Weger [2] y voit un lien, voire certaines comparaisons possibles entre les deux pays. « Il y a un besoin vital, qui peut virer parfois à l’insupportable, d’affirmation chez les “petits” pays, qui se sentent étouffés et parfois écrasés par leurs grands voisins. Le Tchèque vit dans l’ombre de l’Allemand. Le Portugais tente de résister à l’identité parfois bruyante de l’Espagnol. Et le Belge peut ressentir la même chose vis-à-vis de son voisin français. »
Pour parler des Belges, Weger se sert de l’exemple tchèque. « Dès qu’ils peuvent brandir un signe d’identité, cela prend une importance considérable. On entend des choses comme : nous avons la meilleure bière au monde. Nous faisons le plus beau cristal. Nous avons eu le printemps de Prague, et notre révolution fut de velours. »
Un discours patriotique qui, n’en déplaise aux Belges et à leur prétention d’humilité, les caractérise aujourd’hui de la même façon. « L’exploitation des prouesses sportives d’un pays, comme lors de la Coupe du monde de football en 1986 (où les Belges étaient arrivés en demi-finale) ou comme avec la suprématie actuelle du tennis féminin belge (Justine Henin et Kim Clijsters sont au sommet depuis le début des années 2000), est révélatrice d’un besoin de cohésion du pays. » Lorsque ces exploits arrivent, soudain (et c’est rare en Belgique), on sort les drapeaux et on parle (symboliquement) belge.
Pour Weger, rien ne vaut le sport pour guérir un complexe. « Cela vaut pour les Belges comme pour les autres nations. On dit du Belge qu’il manque d’identité nationale. Lors de la Coupe du monde de 1986, le message visait précisément l’inverse : soudain, il y avait une forte identité nationale, et sur la Grand-Place on voyait jaillir les drapeaux tricolores. Cela vaut pour l’Allemagne. On dit de l’Allemand qu’il n’est pas doué pour le contact. Qu’il ne sait pas recevoir. Or, lors de la récente Coupe du monde de 2006, organisée dans leur pays, les Allemands se sont attachés à démontrer le contraire. Le message, transmis via la télévision allemande, était à peu de choses près : « Nous sommes un aussi, d’utiliser le sport pour tenter de transcender les
vieux complexes. »
Et en la matière, chacun porte son héritage comme on porte sa croix. Le trauma de l’Allemand, issu du régime hitlérien, est qu’il fonctionne à l’autorité et à l’obéissance aveugle. Celui du Belge, développé dans l’œuf avec la construction artificielle du pays, est qu’il n’aurait ni identité ni véritable personnalité. « Il y a, dans ce pays que j’aime, ce sentiment, spécialement francophone, de gêne et d’embarras dès qu’un talent belge devient une vedette. »