En France, le projet d’aéroport sur le site de Notre Dame des Landes alimente la controverse depuis des décennies. Il fait à nouveau parler de lui.
La manifestation du 22 février dernier a connu une mobilisation sans précédent dans la lutte contre l’aéroport. 50 000 personnes ont défilé dans les rues de Nantes pour exiger l’arrêt immédiat du projet.
Les médias ont surtout relayé les violents affrontements qui ont eu cours ce jour-là et les pouvoirs en place qui soutiennent l’implantation de cet aéroport ont tenté par ce biais de jeter à nouveau le discrédit sur cette lutte.
Nous retiendrons que ce rassemblement massif et sévèrement réprimé, traduit plus que jamais la détermination populaire grandissante et la convergence des différentes luttes contre les grands projets inutiles et imposés.
Le premier article retraçait sur 40 ans, l’évolution de ce projet et de la lutte qui s’y oppose. Nous vous relatons dans ce deuxième article la chronique des années 2010 de ce grand projet inutile.
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LES ANNÉES 2010 L’HISTOIRE D’UN GRAND PROJET INUTILE
Face aux luttes menées par les habitants et certains élus locaux et plus généralement face à la fragilité de la pertinence d’un nouvel aéroport à Notre Dame des Landes, les années 2010 voient arriver une armée d’experts et de bureaux d’étude dévoués qui ferraillent pour assurer le devenir international de Nantes Métropole et pour légitimer le projet dit "d’intérêt public". Le projet d’aéroport sera désormais qualifié de "HQE" (Haute Qualité Environnementale). Un PPP (Partenariat Public Privé) sera mis en place pour assurer son financement. Mais les opposants au projet n’ont pas dit leur dernier mot !
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Les contradictions d’un grand projet inutile d’intérêt public
Un tel projet nécessite des montants colossaux, dont l’État ne dispose pas. On appliquera donc la solution imparable du partenariat public-privé, entre entreprises multinationales et collectivités locales. Comme souvent dans ces partenariats, l’opérateur public concède à l’opérateur privé le bénéfice à venir, et en assume tous les risques, coûts et dommages collatéraux. Le partenariat public-privé permettra aussi de brider toute idée de débat démocratique au nom du profit financier en soumettant pour des dizaines d’années, les pouvoirs publics à la volonté des opérateurs privés.
Vinci, premier groupe mondial de concession et de construction sera l’opérateur de notre Dame des Landes. Pour rappel, Vinci s’est notamment illustré dans le contrat de concession de la pharaonique ligne à grande vitesse Sud Europe Atlantique, dans une part funeste de la construction nucléaire en France et en Grande-Bretagne, mais aussi dans l’odieuse exploitation des mines d’uranium au Niger et au Gabon… Ça fait rêver…
La disparition des énergies fossiles, le réchauffement climatique, la préservation des zones humides et le Grenelle de l’environnement de 2007 [1] ralentissent le développement aéroportuaire français. L’aéroport "post-Grenelle" fait le pirouette : il ne s’agit plus de construire un nouvel aéroport, mais de transferer l’actuel. L’écologique marketing vient renforcer l’argument : le nouvel aéroport est estampillé "Haute Qualité Environnementale" et Vinci Airport annonce en contre-partie, la création de nouvelles zones humides et le déplacement d’espèces animales et végétales protégées.
Le site de l’actuel aéroport Nantes Atlantique est lui même classé "Natura 2000". La destruction du bocage par la construction du nouvel aéroport est ainsi justifiée par la préservation d’un site devenu zone naturelle alors qu’il abrite un aéoroport en fonctionnement…
L’argument durable est implacable…
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La résistance se radicalise, La répression policière sévit, la lutte s’amplifie
2012, en pleine période de crise, les socialistes reviennent au pouvoir et annoncent le gel de tous les grands projets d’aménagement du territoire. Tous, à l’exception de l’aéroport de Notre Dame des Landes, ce projet cher au nouveau premier ministre Jean-Marc Ayrault, ancien maire de Nantes et président de Nantes-Métropôle. Expropriations, rejets de recours et nouveaux recours au Conseil d’État, expulsions prononcées contre les occupants dits "illégaux", les pouvoirs publics entendent faire place nette à Vinci pour la mise en œuvre des travaux d’aménagement du futur aéroport.
Les partenaires sont prêts à donner les premiers coups de pioches des chantiers préparatoires. Mais la résistance au projet apparaît plus coordonnée et plus musclée que prévu, la ZAD est devenue "Zone à Défendre".
Le 19 octobre 2012 la police lance l’opération "César", qui vise à déloger les squatteurs, détruire l’habitat et faire place aux engins de chantier. Cette première intervention ainsi que les suivantes, ne se feront pas sans heurts et seront systématiquement le théâtre d’affrontements violents.
L’État et Vinci se retrouvent dés lors devant une nouvelle problématique dont l’ampleur va dépasser leurs prévisions. En effet, depuis quelques années, la lutte de NDDL est entrée en résonnance avec celles menées contre d’autres grands projets inutiles, tels que le train à grande vitesse reliant Lyon à Turin, la ligne à grande vitesse du Pays basque, le projet de gare souterraine à Suttgart. Renforcés par des centaines de personnes venues soutenir ce combat, les paysans, élus, riverains et squatteurs, font fi de leurs divergences et mettent en commun moyens et pratiques pour répondre à l’agression du pouvoir. Ce mouvement populaire va connaître son premier point d’orgue avec la manifestation de réoccupation de la forêt de Rohanne le 17 novembre 2012, qui rassemble alors plus de 30 000 opposants au projet d’aéroport.
Face à l’ampleur de la mobilisation, l’État répond par la force : les 23 et 24 novembre vont donner des lieu à des affrontement sans précédent, pendant lesquels des centaines de personne seront blessées par des flash-ball et des éclats de grenades offensives.
Ces évennements fortement et habilement médiatisés montrant la brutalité de l’État et de ses sbires, vont gonfler le crédit " sympathie" des anti-aéroport. Partout en France, des comités de soutien se constituent.
La situation se fige dés lors dans une guerre de territoire, au rythme de barricades détruites, puis remontées, de prise et d’occupations par les forces de l’ordre de positions stratégiques, de reprise de ces positions par les occupants de la ZAD et ainsi de suite…
Dans le même temps, toute une vie tente de s’organiser et de plus en plus de gens affluent sur le site. Au-delà du projet d’aéroport, Notre Dame des Landes polarise les utopies telles que la réappropriation des moyens de production, la réoccupation collective des terres cultivées, la mise en place de systèmes d’échanges, la mise en commun des ressources et du matériel.
Aujourd’hui, la vie quotidienne sur la ZAD est toujours en résistance.
Une "legal team" a été mise en place pour soutenir les personnes confrontées à la répression policière et judiciaire. Bon nombre des actions et rassemblements de ces derniers mois ont porté leur soutien aux multiples inculpés anti-aéroport. Ce mouvement aura également opérer une stratégie médiatique radicale et maîtrisée, les zadistes animent depuis longtemps un site Inernet de qualité et piratent la fréquence des autoroutes Vinci pour faire entendre la voix de Radio klaxon. Ces deux plate-formes permettent notamment d’informer et d’échanger sur l’actualité du projet et de la lutte qui s’y oppose.
Depuis l’automne 2012, plusieurs centaines de zadistes occupent la zone à défendre de Notre Dame des Landes, des milliers de personnes auront enfoncé leurs bottes dans la boue du bocage, et les nombreux comités de soutien locaux restent mobilisables.
Fin 2013, Le conseil d’État a rejeté un des derniers recours suspensifs déposé par le CEDPA. Le 20 novembre, malgré ses doutes portés sur la légitimité environnementale du futur aéroport, la Commission européenne a approuvé l’octroi d’une subvention publique de 150 millions d’euros à la filiale de Vinci pour réaliser son projet. Fin décembre, les arrêtés préfectoraux préalables aux début des travaux ont été publiés.
Si l’État et Vinci ne semblent pas prêts de renoncer à leurs ambitions territoriales, l’ampleur de la mobilisation des "anti-aéroport" ce samedi 22 février nous montre bien que le dossier "Notre Dame des Landes n’est pas prêt de se refermer, devenant peu à peu aux yeux de l’opinion publique, le symbole d’une politique démocratique bafouée.
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En forme de conclusion…
À Notre Dame des Landes comme à Bruxelles, le devenir international des territoires nous fait toujours entendre la même rengaine de la démocratie participative, du développement durable et des partenariats public-privé.
C’était l’idée d’un grand aéroport créateur d’emploi et développeur d’activités économiques au son du "toujours plus vite".
C’est devenu l’histoire d’un projet mégalomane qui se traîne depuis plus de 40 ans, et qui ne fait plus rêver l’opinion publique du grand Ouest, théâtre des nouvelles armes de la technocratie, de l’expertise et du partenariat public-privé.
Aujourd’hui, la destruction brutale de lieux de vie et des activités locales au nom de "l’utilité publique" ont fait de Notre Dame des Landes, une lutte emblématique pour la réappropriation collective des territoires.
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Pour en savoir plus et pour connaître la suite des événements :
Consultez le site Internet incontournable de la Zone A Défendre
Vous pourrez y lire notamment :
Pour approcher l’ambiance de cette année d’occupation :
Écoutez les 3 émissions consacrées à NDDL et diffusées dans "Les pieds sur terre" sur France Culture
Visionnez "Notre dame des luttes", chronique de Jean-François Castell sur la ZAD et ses cabanes qui date de la fin 2012.
Le plus curieux dans cette histoire...
En gelant pendant 40 ans, le site de Notre Dame des Landes, ce projet d’aéroport aura ralenti l’activité agricole, il aura épargné ses terres des opérations de remembrement et il aura évité l’accroissement des terres artificielles liées à l’équipement public, routes, parkings et autres bitumisations.
En d’autres termes, il aura préservé cette zone humide, aujourd’hui reconnue comme primordiale dans la préservation de la biodiversité et qui interroge jusqu’à Bruxelles.