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Le Complexe Belge de Nicolas Crousse - Extrait 16 bis

A propos d’Henri Bernard et de l’AQL

...........................Décompte : J [1]- 126

Illustration d'Olivier Swenne ©

C’est l’histoire du pot de terre face au pot de fer. À la tête des Apaches belges, un Sitting Bull portant le nom d’Henri Bernard. L’homme a assisté aux premières loges à la lente dégradation du quartier, et de son tissu social. Et a fondé avec quelques amis un mouvement de résistance
(l’AQL : Association quartier Léopold), afin de défendre le droit des locaux : droit au logement, mais aussi défense des artistes (qui ont historiquement élu domicile ici) et ouverture sur le monde africain, très présent dans le quartier. Afin surtout, derrière les combats au quotidien (rénovation urbaine, création d’ateliers d’artistes, relocalisation des habitants expropriés…), de dénoncer ce qu’ils considèrent comme un apartheid économico-social. Depuis l’emménagement en 1960 du Marché commun, première pierre européenne posée dans le jardin de Bruxelles, le quartier du Berlaymont s’est progressivement vidé de son sang. Les habitants, qui étaient alors au nombre de 30 000, ne sont aujourd’hui plus que 900. Parmi eux, 300 indigènes concentrés dans deux rues, que l’AQL a baptisées la réserve des Indiens. Les 600 autres, dispersés, sont des concierges et patrons de penthouse courtisés par
l’Europe. Dont les quartiers se sont étendus avec les années, jusqu’à provoquer un certain nombre de traumatismes. Outre la disparition (et souvent l’expropriation) des habitants, l’AQL pointe des dégâts divers :
– La mise à mal du patrimoine historique. Hormis une pêcherie seigneuriale héritée du Moyen Âge, deux villas des XVIe et XVIIe siècles et quelques hôtels de maître (souvent transformés en bureaux), c’est la catastrophe.
– Le quartier, quadrillé par deux autoroutes urbaines (la rue Belliard et la rue de la Loi), est l’un des plus pollués de la ville.
– Sa faible densité le transforme la nuit en une zone froide et dangereuse, qu’il n’est pas bienvenu de fréquenter au-delà des heures de bureau. On passe alors de 50 000 fonctionnaires aux 900 habitants.
– L’installation d’un ghetto pour riches provoque une violente flambée immobilière, qui met aujourd’hui la pression sur les habitants des quartiers environnants. Les fonctionnaires européens sont de plus en plus nombreux, et leur désir de s’installer près de leur lieu de travail se traduit par des locations ou achats de maisons et appartements à des prix qui tuent la concurrence bruxelloise.
– L’enseignement est coupé en deux. Il y a désormais d’un côté les écoles belges, et de l’autre, les européennes, d’où vient Florian Henckel von Donnersmarck, Oscar du Meilleur Film étranger en 2007, avec La Vie des autres. Ces dernières, réservées à l’élite, sont de grande qualité, très chères et subsidiées par les instances européennes.

À l’arrivée, le constat rappelle sans trop forcer sur l’imagination la métaphore visuelle de Charlie et la chocolaterie, le film de Tim Burton. Le Bruxellois, c’est un peu Charlie, dernier des Mohicans, symbole du monde ancien qui disparaît. Son toit est percé. Sa façade tangue. Ses parents sombrent. Mais Charlie a du cœur. Et regarde, le soir venu avant de s’endormir, ce Château plus haut que le ciel qui écrase la ville.
L’AQL, c’est un peu l’ambassadeur de ces Indiens belges qui luttent corps et âme contre les cow-boys du nouveau western. Derrière les combats au quotidien, un message politique en filigrane : l’Europe de Bruxelles, c’est celle des industriels à col blanc, contre qui l’Europe des cultures et des terroirs, ouverte à la Méditerranée et à l’Afrique, doit vigoureusement s’insurger.

[1Elections européennes de juin 2009