Les 1er et 2 mars, le collectif des homostibiens organisait les Jeux olympiques de la STIB (Société des Transports Intercommunaux de Bruxelles) aux stations Hôtel des Monnaies et Étangs Noirs. Manifestation poético-sportive, l’action devait mettre en évidence la marchandisation grandissante et ses conséquences sécuritaristes sur la mission de service public de la STIB, entrainant de fait l’exclusion d’une partie des usagers. Une critique documentée, dans le but d’interpeller sur des questions de mobilité urbaine, dans un contexte environnemental et économique en crise.
La STIB : professionnelle du transport, professionnelle du contrôle
Depuis des années, au nom de la lutte contre la fraude et pour la tranquillité de ses “clients”, la STIB impose aux “usagers” des mesures de contrôle de plus en plus forte. On peut mentionner à cet effet :
• La montée par l’avant dans les bus, source de tensions aux conséquences parfois dramatiques entre usagers et conducteurs.
• Une réglementation vexatoire pour les musiciens ambulants et l’interdiction de la mendicité, dans le but avoué de les écarter des rames de métro.
• Un investissement massif d’un dispositif sécuritaire électronique, contestable du point de vue du respect du droit à la vie privée, qui permet entre autre chose, le contrôle organisé des déplacements pour les détenteurs de la carte Mobib [1] .
• La mise en œuvre d’un service de sécurité privé en rangers, renfort musclé des contrôleurs en casquette dans l’espace public.
• Un esprit de collaboration étroite avec la police et l’Office des étrangers lors de certains contrôles.
• La diffusion d’un discours tendancieux et moralisateur qui amalgame fraude et insécurité alimentant un sentiment de crainte.
• Mais aussi le déploiement d’une publicité de plus en plus invasive pour un prix du ticket de plus en plus cher.
Déjà à la fin des années 90, le collectif “Sans Tickets” dénonçait cette mécanique infernale et proposait plutôt de réfléchir sur la gratuité des transports. Il avait reçu un large écho des usagers et de certains élus politiques. À l’époque, la STIB avait tenté d’étouffer ce débat en s’appuyant sur la démarche juridique qui avait entrainé des condamnations individuelles et des amendes exorbitantes, mais aussi, il faut le reconnaître, une large publicité aux arguments des contestataires.
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Aujourd’hui, c’est à nouveau vers un juge que se tourne la STIB pour faire taire les critiques mêmes quand elles se font de manière joyeuses, “créative” et sans atteintes à la Loi.
La semaine dernière, Inter Environnement Bruxelles a été contrainte en référé et sous peine d’astreinte financières importantes de retirer de sa lettre hebdomadaire un message informant les lecteurs, de la manifestation satirique et sportive organisée par le collectif des homostibiens [2] . IEB avait vérifié auprès des organisateurs qu’aucun délit ne serait commis et que chaque participant serait muni d’un titre de transport valide pour circuler sur le réseau et les stations. Cette manifestation s’est d’ailleurs tenue comme prévu, sous la surveillance étroite de la police et des agents de sécurité.
Il est donc remarquable que la STIB se soit sentie en situation de mobiliser les ressources sécuritaires propres et de la police pour contrôler une manifestation au caractère ludique déclaré et qu’elle ait pu obtenir avec la plus grande urgence et par une procédure juridique d’envergure le retrait d’une annonce pour un événement sans doute trop irrévérencieux.
Ces péripéties nous font penser que le débat de fond sur le transport en commun semble s’escamoter derrière une démarche autoritaire et inappropriée.
• S’agirait-il de faire taire ceux qui remettent en question les politiques sécuritaires et commerciales d’une société qui tend à travestir les usagers d’un service public, en clients d’une entreprise commerciales ?
• Est-il acceptable de transformer une initiative démocratique et citoyenne en activité délictueuse à contraindre par la force et par le droit ?
• Faut-il même envisager que ceux qui s’expriment en plein jour dans l’espace public sur des questions de fond doivent se prémunir d’abord contre la dérive judiciaire des rapports sociaux ?
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Dans le quartier Léopold en train de devenir européen, à plusieurs reprises l’Association du Quartier Léopold s’est résolue également à la démarche juridique à chaque fois que le débat sur le développement de nos quartiers nous a été escamoté. Il est d’ailleurs remarquable que dans les deux situations et pour des raisons inverses, l’appel au débat démocratique ait dû transiter par le juridique. Le projet architectural extravaguant de la maison de l’Histoire européenne installé sur l’ancien Institut dentaire Eastman et dans un site classé [3] a suscité bien des critiques de notre part, mais une démarche de réflexion et d’échange plus attentifs vis-à-vis des usagers et des riverains du parc Léopold n’a pu s’amorcer qu’à partir du moment où un éventuel recours est venu le menacer.
Au-delà de l’agitation médiatique, le jugement envers IEB comme la démarche du tissu associatif vis à vis des projets outranciers d’un quartier européen en train d’oublier qu’il s’appelait Léopold révèle une dégradation du débat démocratique. Que faut-il donc penser de notre capacité à maitriser démocratiquement les phénomènes urbains quand à l’espace public se substitue insidieusement l’audience au tribunal ?